« Alors j’ai décidé d’être belle « , la passion Joannem

fullsizerenderm
De grâce, qu’on se souvienne d’elle. La « reine Henriette » -comme l’appelait son entourage- est décédée le 24 mars 2016. Cette figure orléanaise s’en est allée dans un silence assourdissant.
A la Cathédrale d’Orléans le 31 mars dernier, l’ambiance était douloureuse mais l’assistance -peu nombreuse face à l’amplitude du personnage et de son oeuvre était également bercée par un halo de grâce et un frémissement palpable s’est emparé des hôtes de la dernière heure de cette merveilleuse dame.
Henriette Anne-Marie Joannem est née le 28 mars 2016 à Orléans d’Alexandre Joannem, avocat spécialisé dans les mutilés de guerre originaire d’une famille du Limousin aux illustres ancêtres d’une part grands de Pologne arrivés en France avec la reine Marie lezwinska -épouse du souverain Louis XV- et d’autre part alliée aux Mortemart et aux Turenne…et de Marie Arthaud, issue d’une famille du Dauphiné professeur de philosophie qui ne travailla pas pour honorer la profession de son époux comme la coutume de la profession de robe l’exigeait alors…Henriette est élevée dans une famille royaliste, catholique pratiquante, lettrée, férue de musique, d’art, d’antiquités et de générosité…Son enfance est pleine de bonheur, elle grandit dans une propriété « La Fosse Belle Aude »à Saint Jean de Braye que son père restaure à grands frais puis dans une magnifique demeure Grand Siècle qui deviendra après-guerre le presbytère de la Cathédrale d’Orléans entourée de précepteurs, d’une gouvernante, d’un jardinier et de parents si attentifs si aimants…L’univers de son enfance ressemble étrangement à celui d’un conte de fées clamera-t-elle plus tard, les oeuvres d’art, le mobilier signé d’époque XVIIe-XVIIIe siècles côtoie les collections de livres anciens, de partitions de maîtres de musique classique…La famille organise des concerts de musique de chambre, les réceptions créent une atmosphère tournoyante dans cet avant-guerre de déni….Tout le monde tombe sous le charme de cet « enfant délicieux »comme la surnommera la princesse de Polignac, amie de ses parents…
L’exode. Maître Joannem fuit dans le Limousin, berceau de sa famille. Commence alors un périple de maisons achetées sitôt vendues mais aussi de restrictions, de la découverte de la faim et du froid, la famille manque de tout, les douleurs dentaires sont atroces. Non la vie n’est pas que belle. Henriette tombe gravement malade. Ses jours sont comptés d’après le médecin qui la veille. L’enfant déjà si pieux, prie et adresse un voeu au Christ, elle promet que si elle vit, elle consacrera sa vie au « bon Dieu » et à la charité. Miracle. Henriette vit…
Henriette est belle, très belle, trop belle peut-être, trop typée orientale pour son milieu. Cette Brune aux cheveux noirs de jais, au teint de porcelaine et aux yeux bleu marine est « magnifique » selon de nombreux témoins de l’époque. Elle est courtisée, refuse 33 propositions en mariage dont certains qui lui auraient conférée une position illustre. Elle choisit d’entrer en religion. Elle entre au couvent mais préférant la vie apostolique car consacrée à la charité, elle renonce, revient au « monde » et déclare dans ses mémoires « Entre le retrait et la beauté, je ne pus choisir. Alors j’ai décidé d’être belle avec ce pari qua la beauté servirait le Christ. » Elle devient alors costumière et crée les costumes des paroisses d’Orléans. Elle se consacre pleinement à son rôle. Elle devient également harpiste souhaitant « devenir un page du paradis dans la vie éternelle » Elle organise des ventes paroissiales, des pèlerinages religieux et historiques, appuie la fondation de la Maison de Jeanne d’arc avec l’historienne Régine Pernoud à qui elle confie de nombreuses archives historiques médiévales, elle participe aussi à la reconnaissance des faits héroïques des « poilus » de la guerre de 14 et notamment ceux de Verdun, elle devient directrice régionale de l’Association Universelle des Amis de Jeanne d’Arc , elle parraine le jeune Philippe de Villiers et contribue à lancer sa carrière et aide la mère de Ségolène Royal, -d’une famille orléanaise- à faire face durant sa séparation avec le colonel, père de la dame du Poitou et encourage la jeune Ségolène à intégrer Sciences Po, soutient une certaine Isabelle Adjani, avant son entrée à la Comédie Française, et une multitude de faits presque légendaires…
Sa charité est abondante, elle organise des distributions de soupe et de repas dans sa vaste maison rue du Bourdon Blanc et répond ainsi à son appel évangélique.
Magnifique mais complexe Henriette…
En effet, la dame était d’une beauté et d’une bonté irréelle mais aimait aussi cultiver le secret, le mystère, s’éclipser parfois pour cacher une détresse profonde. Elle évoquait souvent la solitude avec
ses interlocuteurs. La vie ne l’a d’ailleurs pas épargnée. Elle renonça à deux grands amours, le premier parce que divorcé, le second parce que prince et promis à une fiancée de famille illustre.
Deux déchirements à vie… Les neveux qu’elle contribua à élever, enfants de sa soeur, musicienne compositeur, écrivain ont quitté le nid tôt, les parents dont elle s’occupa pleinement jusqu’au dernier instant sont disparus fin des années 80.
Resteront alors près d’elle quelques courtisans parfois intéressés… quelques amis fidèles, sa nièce adorée Fabienne et son filleul tant aimé Djilali à qui elle voua une intense, profonde et totale affection. Mais l’adorable dame s’entoura aussi pour palier à l’ennui d’une clique de guérisseurs, masseurs, astrologues, voyants et autres prescripteurs de bonheur. Il fallait bien lutter, elle trouvait l’époque si triste disait-elle ou encore « l’air du temps, c’est le tout à l’égout ». La vulgarité du monde moderne l’effrayait. Henriette aurait sans doute préféré vivre dans un autre siècle plus accordé à son teint opalescent, à ses gestes délicats et à sa langue exquise en quête du mot juste. Cela ne l’empêchait pas de rire et même souvent de se moquer. « Elle hiberne » disait-elle, passait beaucoup de temps au lit, à écrire, à lire, plonger dans des ouvrages religieux et profanes mais aussi à dévorer des séries américaines comme « Six Feet Under » et raffolait de « Sex and the City » dont elle admirait les rôles de générosité et de féminisme des actrices, elle aimait aussi les films d’auteurs français et espagnols ainsi que les revues militaires qu’elle suivait avec une grande attention.
En tout, elle recherchait l’absolu à la mesure de son idéal mystique.
Souvent, on la croisait dans les rues d’Orléans même la nuit, n’ayant jamais peur, tantôt superbe et souriante, d’une élégance très parisienne tantôt ramassée comme une adolescente déprimée. Et puis les fêtes de Jeanne d’Arc revenaient chaque année. C’est ainsi que le travail la ranimait. La peau d’Henriette s’illuminait comme éclairée de l’intérieur. On aurait dit qu’elle entrait en religion. Elle embrasait son rôle d’organisatrice pionnière, grave, légère, incandescente, se donnant jusqu’à l’épuisement. Avec ses amis, elle rayonnait, donnait, donnait, et recevait beaucoup dans sa maison puis son vaste appartement près de la gare d’Orléans. Cette hyper lucide était aussi une idéaliste. Elle ne comprenait le regard que lui portaient certains catholiques orléanais qui l’enfermaient dans une bigoterie quasi Tartuffe. Alors elle fuyait Orléans quand elle pouvait, allait s’isoler dans sa petite et charmante maison de campagne dans un hameau dans le Limousin, partait pour le ski, allait à Paris chez des amis et son filleul et enfin elle vivait comme bon lui semblait, elle allait au café, au restaurant, à des concerts de musique baroque, à l’Opéra, et même en discothèque boire un verre…
Henriette prenait grand soin de son image. Avec le miroir, les relations n’ont jamais été simples. Elle aimait et détestait se mirer. Elle voulait être belle et devenait parfois même intolérante à la laideur pour les autres…Elle avait du mal à s’oublier préférant rester cloîtrée plutôt que de se montrer imparfaite…Elle n’avait pas 40 ans quand elle demanda de ne plus dire son âge ! Henriette à force de coquetterie se ruina en achats de vêtements qu’elle ne mettait guère. Mais l’argent, les honneurs comptaient si peu pour cette apôtre évangélique un peu saltimbanque à ses moments mal à l’aise devant les réalités matérielles, une généreuse qui claquait pour elle, pour les autres et qui déclarait que « posséder tue les rêves ». Dans cette vie là, tout n’était que tumulte, doutes, désistements, emportements, engagements au gré du vent… Dans son autre vie, la vie spirituelle, elle trouve la paix du coeur, la sérénité, la joie et la force. Cette figure pacifique est une néanmoins une sensible qui réplique au centuple quand on la touche ou ceux qu’elle aime. Elle sera capable avec une volonté spectaculaire auprès de ceux dont elle savait la capacité de rumeurs malveillantes et très orléanaises de colporter ce qui l’arrangeait et de se victimiser en puissance…De tous ses amis et de sa famille, elle requerrait une empathie totale. Alors elle se donnait entièrement. Elle pouvait discuter de tout,
de politique comme de littérature, de sport, des vertus des plantes, des sujets de société…Sa culture et son ouverture d’esprit était impressionnante.
La grande dame, malade d’un syndrome de Parkinson de 2008 à 2016, ne sortait plus de son vaste appartement , meublés des fastes d’antan, un peu isolée et oubliée, entourée seulement de sa fidèle « reine de Saba », son aide-soignante d’origine éthiopienne, de son kinésithérapeute, de ses infirmières dévouées, de sa nièce préférée Fabienne et de son filleul souvent présent le week-end, son amie Béatrice lui consacra une présence et une gentillesse admirable.
Une Henriette, on n’en croise qu’une par siècle. Le dernier vestige d’une époque très 18ème est disparue, qu’Orléans se souvienne. De grâce qu’on se souvienne d’elle !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.